L’Oiseau
Courageux navigateur, j’étais perdu en mer dans une tempête depuis tellement longtemps que je ne me rappelais plus quand ni comment elle avait commencé. Par trois fois au cours de la tempête, mon navire chavira. Par trois fois, par miracle, et aidé de ma persévérance, je réussis à le remettre à flot et continuai à naviguer dans la tempête avec un mât en moins et la cale remplie à moitié, espérant toujours voir un pinceau de soleil dessiner un éclairci à l’horizon qui mènerait mon navire à bon port. Finalement, une déferlante brisa mon navire en deux et je pus, à l’usure des derniers filaments du tissu de mon courage, me construire un radeau de fortune avec les débris et rester à flot, épuisé, toujours dans la tempête.
Puis un jour j’aperçu un oiseau dans le ciel de cette dévastation sans fin. Habitué à la navigation en pleine mer, ce n’était pas la première fois qu’un oiseau dans le ciel ou une faible lueur de soleil derrière les nuages me donnait l’espoir en l’existance même du beau temps après la tempête. Mais cet oiseau-ci, magnifiquement exotique, se posa, doucement et innocemment, sur mon radeau. Je le remarquai à son plumage merveilleux, et à son chant et son allure à la fois fiers et sobrement enchanteurs. Il revint plusieurs fois se poser sur mon radeau et son image me réconfortait en son absence, comme un compagnon impersonnel.
Puis, un jour, à ma grande surprise, il s’approcha et me regarda droit dans les yeux, si près que je crus voir le reflet de mon propre visage dans ses yeux avec, en arrière plan derrière moi sur ce portrait de moi-même, le reflet d’un soleil radieux éclairant une vision d’une île tropicale. Je me retournai pour regarder derrière moi si cette image de fond était réelle ou simplement le fruit de mon délire et de la surprise de ce regard si profond. Je vit alors un rayon de soleil percer les nuages et éclairer, comme dans un rêve, une île au loin. Je ne put m’empêcher de penser que cet oiseau me portait consciemment un message. Mais quand je me retournai vers lui, je le vit s’envoler vers son île. Je me dit alors que cette dernière pensée ne devait être que le fruit de mon délire. Mais je fus tout de même frappé, et je le serai toujours, par le merveilleux irréel de cette coïncidence.
Porté par ce message d’espoir, je trouvai l’énergie et la présence d’esprit de ramer allègrement vers la terre ferme. Finalement je mit pied à terre, et regardai bientôt la tempête continuer son chemin à l’horizon. Plus tard, je me mis à chercher à manger et à boire, à me chercher un abri, et à trouver des matériaux pour me construire un navire et continuer à naviguer. Mais chaque fruit que je mangeai et chaque gorgée d’eau douce que je consommai sur cette île, chaque arbre et chaque liane que j’utilisai pour me reconstruire un navire, j’avais l’impression de les devoir à cet oiseau, et je me surpris à rêver de l’en remercier. Tout en vaquant à mes occupations, je regardai partout dans les arbres, dans le ciel au dessus de moi et à l’horizon, et me prit à trouver tout ce monde plus beau parce que cet oiseau y vivait.
Un soir en m’endormant sous les étoiles, je me rendis compte que ce n’était pas seulement le ciel de cette île qui était particulièrement merveilleux, mais le ciel entier et tous ses horizons, même ceux chargés de nuages, qui étaient maintenant plus beaux qu'auparavant depuis ma rencontre avec cet oiseau.
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